Le Retour du fils prodigue, Rembrandt, c. 1668. Huile sur toile. Musée de l'Ermitage, Saint-Pétersbourg, Russie. [wikimedia-CC]

Afin d'être bien compris de leurs auditeurs, les guides religieux ont recours à des paraboles. Le père spirituel y prend souvent les traits du père naturel aimant ses enfants.

Dans trois des sept paraboles du Sûtra du Lotus, Shakyamuni est associé à l'image d'un père attentionné, désireux de sauver ses enfants.1 Parce qu'il porte un amour inconditionnel à tous les êtres, le Bouddha souhaite les faire sortir du monde de l'illusion et des satisfactions mineures, afin qu'ils connaissent tous l'éveil suprême. Sa sagesse lui permet de faire entendre graduellement son message de s'adapter à ses disciples sans les froisser ni témoigner de préférence. Il les invite à ne pas se satisfaire de leur état actuel, aussi avancé soit-il. Bouddha, il les voit comme des bouddhas potentiels, comme un parent aime voir son enfant s'éveiller et se reconnaît à travers lui.

Le fils pauvre dans le Sûtra

Sa tâche est particulièrement difficile. En effet, nous le lisons au début du Gongyo chaque jour : « La sagesse des bouddhas est infiniment profonde et incommensurable. La porte de cette sagesse est aussi difficile à comprendre qu'à franchir. »2

Les paraboles relatées dans les chapitres suivants du Sûtra du Lotus (excepté celle du 16e chapitre) vont permettre à Shakyamuni de démontrer qu'il est possible pour tous ses auditeurs d'accéder à cette sagesse par un véhicule unique. Les enseignements précédant ce Sûtra ne sont que des véhicules provisoires, explique-t-il, des moyens opportuns (hoben) pour atteindre ce véhicule unique.

Ainsi, dans la parabole de l'homme riche et de son fils pauvre3, le riche marchand – qui veut léguer sa fortune à son fils – symbolise le Bouddha dont le seul désir est de permettre à tous de bénéficier du même état que le sien (la bouddhéité la véritable richesse). Le fils pauvre, qui s'est enfui de la maison de son père il y a des années, et qui, depuis, erre d'un lieu à l'autre dans la pauvreté, représente les mortels qui transmigrent vie après vie sans rencontrer le véhicule définitif.

Un jour, alors qu'il passe par hasard devant la nouvelle demeure de son père (le fils ne reconnaît pas son père), il prend peur et s'enfuit, impressionné partant de richesses.

Trop misérable, il ne peut servir dans une telle demeure. Le père, « le cœur empli d'une joie immense »4, l'ayant reconnu de loin, envoie un de ses hommes le chercher. Mais le fils, apeuré, se croyant arrêté, s'évanouit. Le père demande alors à son serviteur de le laisser libre : « Pourquoi agit-il de la sorte ? Parce que le père avait conscience que son fils ayant piètre apparence et ambition, il lui serait difficile d'accepter sa propre position prospère et éminente. Il savait très bien que c'était là son fils, mais choisit le moyen opportun de s'abstenir de proclamer haut et fort : “Voici mon fils !” »5 Le fils est enchanté de retrouver la liberté qui est la sienne, « ayant obtenu ce qu'il n'avait jamais eu auparavant, il se releva et se dirigea vers le village pauvre voisin, afin d'y trouver de quoi se nourrir et se vêtir. »6

Il est libre de partir, libre de revenir, libre de fuir à nouveau. De même, la quête de l'éveil ne peut être imposée. Le père respecte le choix de son fils, mais il veut lui donner les moyens d'une liberté encore plus grande pour l'avenir : sa richesse. C'est une preuve d'amour. Le riche marchand va alors utiliser des « moyens opportuns » pour amener son fils à retrouver sa vraie nature ; il lui confie d'abord des tâches viles adaptées à sa condition, et va jusqu'à revêtir des haillons pour s'en rapprocher. Petit à petit, le fils retrouve de l'assurance et commence à regretter la façon dont il vivait auparavant. Le père finit par léguer tous ses biens à ce fils retrouvé.

Résumant la signification de la parabole, les disciples du Bouddha déclarent : « L'Ainsi-Venu nous répète constamment que nous sommes ses fils, mais à cause des trois souffrances, Honore du monde, entre la naissance et la mort, nous affrontons de profonds tourments, des illusions, l'ignorance, nous contentant de doctrines inférieures auxquelles nous nous cramponnons. »7 Ils comprennent qu'ils ne doivent pas se contenter d'un éveil inférieur, équivalent au « salaire d'une journée ».

L'enfant retrouvé dans la Bible

Même s'il n'y a apparemment aucune influence entre elles8, on ne peut manquer de noter des similitudes entre cette parabole et celle du « Fils prodigue » du Nouveau Testament, que l'on trouve dans l'Évangile selon Luc, en 15:II-32.

Dans celle-ci, le plus jeune fils d'un homme part pour un pays éloigné, avec sa part d'héritage. Il y vit dans la débauche, dépense tout (d'où « prodigue ») et se retrouve dans le besoin. Il décide alors de retourner auprès de son père et se repent. Le père, ému de compassion, se jette à son cou, lui fait revêtir la plus belle robe et fait tuer le veau gras : « Mangeons et réjouissons-nous ; car mon fils que voici était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu, et il est retrouvé. » (15:23-24) La fin du récit évoque la colère du fils aîné, jaloux des faveurs accordées à celui qu'il estime coupable, alors même que lui a toujours fidèlement servi son père, sans rien en retour. Le Père l'apaise alors, lui disant que tout ce qu'il a est à lui, et répète la phrase précédente.

Parent et enfant dans les paraboles

Evidemment, le sens des deux paraboles diffère : dans la parabole bouddhique la vraie richesse est l'état de bouddha ; pour la chrétienne le repentir après la faute salut. Mais l'on y retrouve les motifs de départ et de retour du fils, complétés de celui de la richesse perdue et retrouvée. De même que l'amour d'un père pour son fils ; un fils libre de partir et qui n'est ni culpabilisé ni rejeté à son retour.

L'enfant dépend du père (du parent), puis réclame son autonomie (départ) et, dans une évolution positive, arrive à éprouver de la reconnaissance envers lui (retour). Le père aime son enfant ; il veut le meilleur pour lui. Mais, s'il l'aime vraiment, il l'aime tel qu'il est, et non tel qu'il voudrait qu'il soit. Parce que chacun est unique et que personne ne nous appartient. Comme l'écrit Khalil Gibran : « Vos enfants sont les fils et les filles de l'appel de la Vie à elle-même. Ils viennent à travers vous mais non de vous. Et, bien qu'ils soient avec vous, ils ne vous appartiennent pas. »9


A lire dans le numéro de Valeurs Humaines n°32, juin 2013, p. 28.
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Notes

  • 1. En japonais, le mot disciple deshi est composé de deux caractères ; de signifie « cadet » et shi, « enfant ».
  • 2. SdL-II, 43.
  • 3. SdL-IV,96-99.
  • 4. Ibid., 97.
  • 5. Ibid.
  • 6. Ibid.
  • 7. SdL-IV, 99.
  • 8. Boris Oguibénine, « Le fils prodigue chez les bouddhistes », conférence au Centre culturel Opéra du 25 mai 2001.
  • 9. Le Prophète, Casterman, 1956, p. 19.

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